9 décembre 2005 à Fès | Première conférence du Forum de la Régulation-MAROC

« Les Autorités de régulation : Nouvelles institutions pour de nouvelles attentes »

Le Forum de la Régulation – Maroc est né le 9 juin 2005 à Fès pour constituer un espace de réflexion, production et de communication des connaissances relatives à la régulation dans ses dimensions nationales et internationales et dans ses applications actuelles et prospectives. Ses membres fondateurs, l’Agence Nationale de Réglementation des Télécommunications (ANRT), l’Association Atlas Saïs, la Chaire Régulation de Sciences-Po – Paris, l’Université Paris-Dauphine et l’Université Sidi Mohammed Ben Abdellah-Fès, ont inscrit les ambitions de ce Forum autour du triptyque suivant :

  •  Organisation des rencontres entre les régulateurs, les opérateurs et les universitaires.
  • Promotion de la langue juridique et  technique de la régulation par la création d’une cellule multidisciplinaire ayant pour mission l’élaboration d’un lexique arabe de la régulation.
  • Valorisation des  acquis conceptuels et terminologiques des deux objectifs précédents par leur diffusion sous la forme de publications ponctuelles ou sous la forme d’une revue semestrielle.

La rencontre du 9 décembre 2005 à Fès  a constitué la première d’un cycle de conférences sur la régulation, qui sera organisée semestriellement par le Forum de la Régulation – Maroc. Cette première conférence avait pour objet « Les Autorités de régulation : Nouvelles institutions pour de nouvelles attentes » afin de comparer les expériences des régulateurs sectoriels marocains et français et d’étudier non seulement les attentes des parties prenantes, opérateurs et consommateurs mais aussi l’interaction de l’administration et des régulateurs. Les débats ont permis de mettre en commun les analyses et les perspectives d’évolution des politiques de régulation sectorielle ou de droit commun. Les travaux de cette rencontre ont aussi mis en évidence la place croissante prise par les régulateurs dans le dispositif d’Etat mis en place par les gouvernements pour organiser la concurrence dans des secteurs d’activités économiques anciennement placés sous monopole comme celui des télécommunications, de l’audiovisuel ou des marchés financiers.

Les membres du réseau francophone des régulateurs de télécommunications (FRATEL), étaient aussi conviés à ce colloque, représentés, outre l’ANRT, par M. Jacques Douffiagues, ancien ministre, Membre du Collège de l’Autorité de Régulation des Communications Electroniques et des Postes (ARCEP) de France, et M. le Professeur Sakho, Président du Conseil de Régulation de l’Autorité de Régulation des  Télécommunications (ART) du Sénégal.

La présente note tire les enseignements de ce Forum qui a vu la participation de 200 personnes francophones concernées par le droit de la régulation.

Les allocutions d’ouverture ont mis en évidence le caractère original de la régulation, lié à la recherche d’une efficacité gouvernementale sur des phénomènes de marché de plus en plus complexes.

Après les mots de bienvenue de M. Taoufiq Ouazzani Chahdi, Président de l’Université Sidi Mohamed Ben  Abdellah de Fès, et de M. Mohamed Benchaâboun, Directeur Général de l’ANRT et Président du FRATEL, M. Abdessadek Rabiah, Secrétaire Général du Gouvernement, a proposé une réflexion sur le phénomène des autorités de régulation au Maroc et l’expérience marocaine en la matière.  Il a expliqué les spécificités marocaines notamment dans la source de la légitimité d’action des institutions étatiques. La mise en place de régulateurs, d’inspiration anglo-saxonne, est une nouvelle manière d’administrer qui n’est pas sans poser des questions de légitimité et de répartition des rôles entre les régulateurs et les administrations classiques.  Il  aussi présenté les convergences entre les autorités de régulation au Maroc et en France et comment ces nouvelles institutions peuvent améliorer la gouvernance publique.

La régulation porte sur les secteurs anciennement placés sous monopole et maintenant libéralisés. Les pouvoirs renforcés confiés aux administrations d’Etat comme l’ANRT ou l’ARCEP obligent ces entités à rester crédibles. La responsabilité confiée aux régulateurs par la loi les oblige à répondre par des décisions proportionnées aux questions posées par la situation de concurrence, par définition très évolutive, auxquels sont confrontés les marchés qu’elles régulent.

Ensuite, Mme Marie-Anne Frison-Roche, Professeur des Universités à Sciences Po, Directeur du Forum de la Régulation de Sciences Po (Paris) a proposé une réflexion sur le thème «  Construire des régulateurs » et a souligné notamment la nécessité pour les régulateurs de bien doser leur action en respectant un processus de décisions motivées, adaptées au marché, prises dans une indépendance supportable. Elle a précisé les conceptions différentes de la régulation, une première d’inspiration américaine et juridictionnelle de « check and balance », de la « common law », et une seconde d’inspiration française, plus modeste basée sur la « civil law » d’un pouvoir politique accordé sur un fondement légal.

Au cours de trois  sessions qui ont suivi cette introduction, les participants ont successivement discuté des thèmes suivants   : les expériences comparées des régulateurs, les attentes des opérateurs et les responsabilités des autorités de régulation à l’égard des consommateurs.

Les expériences comparées des régulateurs montrent des similitudes dans les questions traitées, et des différences dans les missions et les structures institutionnelles.

  La première session modérée par  M. Noureddine Toujgani, Professeur de la Faculté de Droit de Fès a été consacrée aux expériences comparées des régulateurs en matière de télécommunications, de finances et d’audiovisuel. Cette session a été caractérisée par les interventions marocaines de M. Mohamed Benchaâboun, Directeur Général de l’ANRT,  Mme Dounia Taarji, Directrice Générale du Conseil Déontologique des Valeurs Mobilières et de  M. Ahmed Ghazali, Président du Conseil Supérieur de la Communication Audiovisuelle. Les spécificités des expériences marocaines présentées par ces intervenants ont été comparées aux particularités des expériences françaises relatées par Dominique Roux, Professeur à l’Université Paris-Dauphine , ancien membre de l’Autorité de Régulation des Télécommunications en France, M. Xavier Tessier, représentant le Secrétaire Général de l’Autorité des Marchés Financiers française, et Janine Langlois-Glandier, ancien membre du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel français.

En ce qui concerne le secteur des télécommunications, M. Mohamed Benchaâboun a en particulier mis en évidence l’originalité du régulateur marocain des télécommunications, établissement public doté de la personnalité morale et de l’autonomie financière, rattaché au Premier Ministre. Ce statut lui donne une compétence forte aussi bien en matière de réglementation que de régulation, y compris en matière de droit de la concurrence  dans le secteur des télécommunications, compétence qui a été récemment confiée à part entière à l’ANRT. M.  Dominique Roux, de son point de vue, a rappelé les objectifs assignés au régulateur qui sont la recherche de la meilleure efficience productive favorisant la plus grande allocation des ressources disponibles et l’innovation par une régulation ex ante sur les forces stratégiques du marché.

Les attentes des opérateurs convergent sur une régulation la plus allégée possible, et divergent sur la proportionnalité des pouvoirs et decisions du régulateur sans qu’il existe de modèle universel.

L’ARCEP a animé la 2ème session du Forum sur « les attentes des opérateurs», qui a été présidée par M. Jacques Douffiagues, avec la participation de M. Abdeslam Ahizoune, Président du Directoire de Maroc Télécom , de M. Inigo Serrano, Président Directeur Général de Médi Telecom et M. Karim Zaz, Président Directeur Général de Maroc Connect.

Le secteur des télécommunications, confronté aux évolutions technologiques a dû s’adapter à un système juridique nouveau qui, jusque là, relevait de prérogatives du gouvernement.

Par son caractère spécifique, la régulation a créé un droit nouveau qui se situe aux confins des domaines juridiques, économiques et techniques.

M. Jacques Douffiagues a souligné en introduction la situation très différente des régulateurs, suivant les pays, mesurée en fonction des contextes institutionnels et de l’état du marché sans qu’on observe de véritables modèles au niveau international.

Plus encore, l’action des régulateurs peut être soumise à un cadre supranational qui, de fait, remet en cause le fonctionnement même de l’Etat et son impartialité comme c’est le cas en Europe. Dans un tel environnement, le régulateur devient la « rotule» entre un ensemble plutôt figé de directives transposées dans une ou plusieurs lois nationales et l’ensemble plus flexible du marché, ce qui nécessite une adaptation permanente du cadre juridique.

C’est ainsi que la première loi française de 1996 ne mentionnait pas le terme « Internet » et ne  prévoyait pas le rôle des collectivités locales, ce qui a été rectifié à l’occasion de la transposition du 2ème paquet de directives européennes dans la loi de 2004.

Cette évolution rapide du marché pose une double interrogation sur la nécessité pour les gouvernements de mettre en place un régulateur spécifique du secteur pour une meilleure adaptation au marché et sur son indépendance. En même temps, dans la mesure où il existe d’autres institutions régulatrices comme le Conseil de la Concurrence, il convient d’éviter la situation fâcheuse où tout le monde s’occuperait de tout et personne ne maîtriserait rien. Se pose alors la question du caractère pérenne des régulateurs spécifiques dans une situation de concurrence totale.

Sous l’influence de l’Europe, l’activité gouvernementale des différents pays membres est ainsi passée d’une culture de territoire à une culture de mission.

Les discussions qui s’en sont suivies se sont focalisées sur les attentes de l’opérateur historique et sur celles des nouveaux entrants.

M. Ahizoune, en sa qualité d’ancien ministre  du secteur des télécommunications au Maroc, et maintenant  Président du directoire d’Itissalat Al Maghrib (Maroc Telecom) s’est montré attaché aux trois principes suivants :

  •  la séparation des fonctions de réglementation et de régulation ;
  • la nécessité de confier au Conseil de la Concurrence les litiges en cas d’atteinte à la concurrence loyale ;
  • le rapprochement entre autorité de régulation des télécommunications et de l’audiovisuel dans l’optique de la convergence.

Maroc Télécom est l’opérateur historique devenu opérateur privé global (fixe, mobile et internet). Son partenaire stratégique est Vivendi qui détient 51% du capital.

Les nouveaux entrants, quant à eux, attendent une forte réactivité du régulateur leur donnant le maximum de visibilité sur l’avenir pour leur permettre d’investir dans les meilleures conditions.

Selon les différents partenaires en présence, une régulation allégée serait suffisante sur la base de règles précisant les enjeux collectifs, notamment en matière de service universel.

Les responsabilités des Autorités de régulation à l’égard des consommateurs.

La session sur les responsabilités des autorités de régulation à l’égard des consommateurs a été animée par Mme Nadine Fraselle, Professeur à l’Institut belge d’Administration et de Gestion de l’Université Catholique de Louvain, avec la participation de MM. Francis Amand, Sous-Directeur des Services et Réseaux de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes de France, et Samir El Jaafari, Président de l’Association Atlas-Saïs, membre de l’Organisation Internationale des Consommateurs.

Les participants à cette dernière session ont été unanimes à reconnaître la complexité du marché des télécommunications pour le consommateur dans le contexte d’une offre diversifiée. La nécessité est grande d’une plus grande  information et de possibilités de recours en cas de litiges. Ils ont également indiqué qu’une bonne réactivité et une bonne efficience dans les décisions des régulateurs pour toutes les questions de concurrence était vitale pour le développement du marché, comme par exemple dans le domaine de la portabilité ou la possibilité de changer d’opérateurs. Une facturation la plus claire et la plus simple possible apparaît  comme  un élément  déterminant   pour le développement du marché.

La conclusion a souligné le caractere de plus en plus contentieux de la régulation dans un marché ouvert.

En conclusion, M. Bruno Lasserre, Président  du Conseil de la Concurrence en France et M. Mohamed Drissi Alami Machichi, Professeur à l’Université de Rabat, ancien ministre de la justice, ont tous deux souligné le rôle croissant du juge dans la régulation du marché.

Le régulateur occupe un interstice entre l’action politique et la gestion d’entreprise. Disposant du pouvoir de communiquer publiquement, mais n’étant pas un acteur du jeu concurrentiel, il pourrait être tenté par un certain dirigisme, écueil qu’il doit éviter à tout prix pour ne pas empiéter sur les entreprises. Il doit également se garder de « chercher à être aimé ».

En revanche, il construit une sorte de gouvernance des conflits, une bonne régulation reposant sur une bonne loi qui fixe les missions, les pouvoirs aussi bien que les objectifs de la régulation, ce qui est le cas au Maroc comme en France.

Au final, il reste des questions non vraiment résolues dans un contexte où la régulation devient de plus en plus contentieuse, ce qui la rend plus imprévisible aux acteurs du marché. Ce sont notamment la question du statut type, agence ou office, champ restreint ou champ plus large de compétences, ou la question du marché pertinent de la régulation qui serait fondée sur un droit homogène applicable au-delà de l’espace national, le marché étant global et non national.